Thursday, June 14, 2012

Moby Duck, by Donovan Hohn


Moby-Duck: The True Story of 28,800 Bath Toys Lost at Sea and of the Beachcombers, Oceanographers, Environmentalists, and Fools, Including the Author, Who Went in Search of Them, by Donovan Hohn


Un livre qui part de l'anecdote des dizaines de milliers de jouets de bain pour bébé (et notamment de canards en plastiques) tombés d'un porte container dans le nord pacifique et retrouvés plus tard sur un peu toutes les côtes de la planète. Il raconte comment ces canards, très identifiable, ont été suivis dans le monde entier, ce qu'en disent les "beachcombers" les environnementalistes et les océanographes(écoulement des courants dans le passage du "nord-ouest" de la mer de Bering et glaces associées, north pacific gyre qui piège les objets flottants, ...).

Le journaliste a suivi les "canards" dans le monde entier, pendant prés de 10 ans et 4 voyages tout autour du globe. Il a rencontré des personnages incongrus et passionants qui lui ont appris et montré de nombreuses choses  (eg Ebbesmeyer et son "beachcomber's alert", blog ,web et journal). Il parle d'autres chutes d'objets flottants, de la dérive des épaves et débris, de ce qu'en déduisent les océanographes, les "beachcombers", les amateurs, de ce que la "driftology" ("dérivologie"?) nous dit sur la pollution flottante et sa diffusion à travers les océans du monde. 

Et tel un canard jaune à la dérive sur les océans, l'auteur se trouve emporté de plus en plus loin par ses questions, qui lui ouvrent progressivement des choses de plus en plus intéressante et qui l'amènent à aller voir toujours plus loin... 

Par exemple il va aller voir le "great pacific garbage patch" où les débris flottants s'accumulent (à cause d'un gyre géant et d'un courant qui s'enfonce sous l'eau laissant les débris flottant à la surface). Il va découvrir la dégradation des plastiques (qui se cassent en bouts toujours plus petits sans jamais vraiment disparaître, au point que la soupe plastique/plancton a parfois 15 fois plus de plastique que de plancton dans des endroits où les trucs qui flottent s'accumulent...

Il décrit les "îles barrières" au large de l'Alaska (population: 0), au nord du gyre Pacifique subpolaire, dans le plus grand des océans et la zone la moins peuplées de la planète, parmi les rivages les plus déserts et les plus sauvages du monde. Il y a décrit les piles de plastique de 3m (10 pieds) de haut, amassées par les tempêtes d'hiver, et les forêts sub-polaires jonchées sur 30 mètres (100 pieds) de débris plastiques si dense, qu'on ne peut poser le pied sur le sol.

Il rencontre des chercheurs qui lui montrent comment les polluants organiques hydrophobes (DDT, PCB, dioxine...) sont adsorbés par le plastique flottant (adsorbé veut plus ou moins dire qu'il est attiré et recouvre, qu'il nappe, l'adsorbant). Au point que ces micro-pastilles de polymère en sont recouverts et donnent à cette "soupe de particules de plastique" une concentration en produits dangereux plusieurs millions de fois supérieure à celle du reste de l'océan... Concentration qui ne fera qu'augmenter au fur et à mesure qu'on remonte la chaîne alimentaire, bouffeuse de plastique malgré elle et qui parfois en meurt.

Il va jusqu'à la face cachée des choses qu'on montre généralement peu, jusqu'aux transports de marchandises intercontinentaux et à l'analyse du traffic des porte-containers qui alimentent toutes notre économie et tous nos supermarchés, il remonte jusqu'aux usines plus ou moins officielles qui injectent du plastique pour les jouets de nos enfants...

C'est un récit de voyage, une histoire racontée avec un ton vif et un style fluide, qui décrit la quête -pleine d'anecdotes- de ses multiples voyages à la recherche des tenants et des aboutissants du problème et pour en examiner les différentes facettes. 

Son talent d'écriture nous rend familier toute une série de lieux lointain qu'il nous fait voir et sentir, comme si on y était, non pas comme un touriste, mais comme quelqu'un qui visite sans arrêt l'arrière-scène: Alaska (Sitka, Homer, Détroit du Prince William, Gore Point, ...); Hawaï (South-Point, ...), les usines du Delta de la Pearl River en Chine, etc...

C'est un récit d'aventure parsemé de rencontres avec des personnages mémorables et d'anecdotes sympathiques; c'est aussi  une quête un peu naïve, motivée par une curiosité presque enfantine et par une envie de découverte insatiable, qui nous raconte le voyage d'un "naïf intelligent et observateur" tout autour du monde, et qui a tout le charme d'un bon récit de voyage, quoique l'émerveillement de la découverte fasse parfois place aux grincements de dents de la prise de conscience de la situation...

On y apprend bien des choses entre deux chapitres amusants (et ces choses qu'on apprend, sont, elles, rarement amusantes...) Sous une forme divertissante c'est donc bien un état des lieux assez ahurissant auquel nous avons à faire.

Il y a plusieurs passages assez édifiants sur le "greenwashing", ou comment les industriels font des campagnes de communication qui "les lavent plus vert" avec des actions médiatiques qui ont peu d'effet concret, et en soutenant (voire en créant) des pseudo-groupes environnementalistes qui prétendent essayer de réparer une partie des méfaits que les industriels ont d'abord répandus; tout en déplaçant le blâme pour le mettre sur les pouvoirs publics et/ou la gestion des déchets, laissant les industriels innocents de toute responsabilités et de toute contraite, sans rien qui les empêche de continuer à produire leurs mégatonnes de saletés, et de les envelopper par autant de couches de suremballage qu'ils peuvent en mettre.

Il montre comment le plastique jettable a été une stratégie consciente de l'industrie depuis les années 60, parce que le seul moyen pour eux de faire de gros bénéfices c'est de faire jetter pour faire racheter. "L'avenir de nos produits est dans les poubelles" disait un dirigeant à la fin des années 60: l'industrie plastique ne peut faire de la croissance que si les gens jettent les produits en plastique pour les racheter. C'est ainsi qu'il y a des produits et des emballages qui seront utilisés 1 minute et qui mettront au moins 500 ans à disparaître (pour les plus biodégradables d'entre eux).

Il nous entraîne également dans le monde labyrinthique et discret des usines et des industries du delta de la Rivière de Perle, entre Hong-Kong et Canton, un milieu dont on ne parle pas, qui est effacé et presque secret. C'est pourtant le coeur industriel de la Chine, et l'endroit d'où viennent presque tous les bien manufacturés du monde entier.  C'est notamment le coeur de l'industrie du plastique et de la transformation des granulés de "résine" en jouets occidentaux (façon ToysRus). La description de l'endroit est frappante et souvent surprenante, et donne une image étonnante (et quasiment pré-industrielle) de cet endroit d'où viennent tous les objets autour de nous et qui est pourtant si inconnu, presque comme si les objets étaient simplement "acquis" dans un supermarché plutôt que d'avoir été un jour fabriqués quelque part.

Il a également traversé en cargo (porte-container géant) le Pacifique, à la haute saison des grandes tempêtes d'hiver, suivant la route située très au nord, qu'empruntent la plupart des containers qui transportent les biens et marchandises depuis la Chine la Corée et l'Asie du Sud-Est vers les deux côtes des Etats Unis (et parfois bien au delà), et nous fait comprendre pourquoi et comment la sauvagerie des océans malmènera toujours même les plus gigantesques navires à la pointe de la technologie, et pourquoi des containers se sont perdus et se perdront tout le temps (quand ce n'est pas le navire tout entier qui est perdu, ou malmené jusqu'à être seulement un tas de ferraille vaguement flottant)... Et pourquoi les gens globalement s'en foutent et continuent d'envoyer des porte-containers à la mauvaise saison: au pire, c'est seulement  25 marins philippins qui se noient et de toutes façons, ils n'intéressent pas grand monde.

Bref, il suit la piste complète du plastique, depuis les petits granulés qui se transforment en objets divers en Chine, transportés en occident avant de finir dans nos poubelles et de se diriger vers l'océans, où ils mettront des années à se fragmenter en bouts de moins en moins gros, et des siècles avant d'être digérés par quoique ce soit parmi toutes les bestioles qui tentent de les manger (et qui en général en meurent)...

Il fait son quatrième voyage dans le passage du Nord Ouest, remontant le courant de glace qui vient du Pacifique pour alimenter l'Atlantique Nord. Il témoigne de la fonte des glaces qui s’accélère de manière ahurissante, laissant de l'eau libre jusqu'au voisinage du pôle, réduisant le territoire des espèces polaires et laissant la place à des espèces "invasives" qui semblent considérer ce nouveau territoire comme une nouvelle mer tempérée.. Il décrit le fameux "passage du Nord-Ouest" comparant ce quil a été depuis les premiers explorateurs polaires, par rapport à ce qu'il est devenu aujourd'hui...

Une lecture passionante par bien des aspects, rendue vivante et toujours amusante par le ton léger et spirituel d'un voyageur curieux à la plume vive et qui maitrise bien son sujet.